Sénégal, pays d'artistes
- cestpartipouruntour
- 18 nov. 2014
- 5 min de lecture
Profitant d'une dizaine de jours supplémentaires au Sénégal suite au survol de la Mauritanie, nous enfourchons nos vélos en direction de Toubacouta dans la région du Siné-Saloum, avant-goût de la Casamance avec ses fleuves, ses mangroves de palétuviers, ses bolongs et ses villages de pécheurs. Nous prévoyons ensuite de rejoindre Karang à vélo, puis de s'essayer aux transports locaux, le 7 places tout d'abord jusque Thies, le Ndiaga-Ndiaye (mini-bus) ensuite jusque Saint-Louis, une journée de route et 400 km environ. A Saint-Louis, nous serons rejoints par la famille, Bernadette, Marie-Paul et Véronique, avec qui nous visiterons plusieurs endroits du Sénégal tous les 3-4 jours, le temps pour nous de rallier à vélo les différents points de rencontre. Le programme s'annonce alléchant...

Les premières images du Sénégal s'avèrent cependant moins glorieuses. Collants et suffoquants sur la nationale qui nous extirpe péniblement de Dakar, on sourit enfin pensant croiser dans les arbres nos premiers oiseaux multicolores. Il en s'agit en fait que de sacs en plastique, les bords de routes et les entrées de villages en sont jonchés. Des couleurs barriolées sur les carrosseries cachent des cercueils roulant prêts à se désintégrer devant nos roues. Ils dégagent dans nos narines leurs fumées noires et nous klaxonnent, parfois avec insitance, espérant que nous allons nous jeter dans les bas-côtés sablonneux. Seules les chèvres et les vaches nous sont inférieures sur l'échelle des usagers de la route. Les enfants, les adultes parfois aussi, nous alpaguent, nous sifflent et nous crient sans même jamais nous saluer: “Toubab, toubab, donne-moi de l'argent!” “Toubab, toubab, donne-moi ton vélo!” Et plus simplement encore: “Cadeau, cadeau, cadeau!.” On les salue par un Salam Aleikum auquel ils finissent par répondre. Ces habitudes nous fatiguent plus que la chaleur. Des pancartes de fondations, de coopérations et d'ONG travailllant à la construction d'écoles, à leur gestion ou à leur appui et plus généralement au développement du Sénégal quelque soit le secteur se succèdent le long des routes. Voyant cela, on en vient à se poser la question: Sénégal, peuple assisté sans éducation? Nous souhaitons ne pas nous arrêter aux images, mais cherchons à nous rapprocher des gens, afin de discuter et se construire un avis plus nuancé.

Si l'éducation nous semple un problème, la culture pas du tout! Quel changement par rapport au Maroc! On a l'impression de découvrir une part d'artiste en chaque Sénégalais. De part leur vêtement tout d'abord, les femmes musulmanes en se cachent plus dans des “sacs”, mais n'hésitent pas à se mettre en valeur dans des tenues apprêtées aux couleurs chatoyantes et aux garnitures scintillantes. Les hommes en sont pas en reste dans leurs géré olof, tunique sur mesure unie et cousue dans un tissu improbable chez nous.

Musique, fer forgé, sculpture, peinture, mobilier, broderie,..., l'art est partout:
A Toubab Dialaw par exemple, lorsqu'un Mandingue guinéen nous improvise un morceau sur les instruments qu'il a fabriqué lui-même à partir de calebasses et de peaux de chèvres.
A Toubab, au théâtre de l'Engouement, où Ibrahim nous explique la construction de cases à voûtes nubiennes en utilisant un compas mis au point artisanalement.

A Foundiougne, lorsque les hommes réalisent à coups de scies et de ciseaux des pirogues de pêche dans du bois rouge (ces piroguiers ont par ailleurs été les premiers à tenter leur passage vers l'Europe).
A Toubacouta, lorsque Bleu (c'est son nom) nous fait une démonstration de tannage de peau de serpent en trois temps...
Les exemples sont nombreux et chaque jour est sujet à nouvelle découverte.

Délaissant la Petite Côte, on entre dans les terres. Les campements touristiques laissent place aux villages de brousse. Un jour vers 13h, dépassant un manguier sous lequel toute une famille sénégalaise s'est réunie pour la fête du nouvel an musulman (Tamkharite), une main se lève pour nous inviter à se joindre à eux. Je m'arrête, Pauline me rejoint. On se salue, puis on est invités à s'installer sur les nattes à même le sol. Les premiers échanges sont timides, mais bien vite nous sommes conviés à entrer dans l'enceinte de la concession (= regroupement de petites habitations) pour partager le repas de fête. Quatre grands plats sont installés dans la cour sur des nappes autour desquels 7 à 8 personnes se regroupent. Difficile de comprendre les liens familiaux entre chaque personne car les hommes peuvent avoir jusque quatre femmes et des enfants avec chacune d'entre elles. Pauline s'attachera à la réalisation de l'arbre généalogique de la famille afin de pouvoir s'y retrouver. Les deux chefs de famille, l'équivalent des grand-pères chez nous, écoutent, radio collée à leurs oreilles, le Coran récité inlassablement, lorsque l'un d'entre eux s'en va vers la mosquée “crier” l'appel à la prière. Le lavage des mains terminé, on plonge tous ensemble, main droite uniquement et tant pis pour les gauchers, dans le plat copieux à base de riz, poissons et légumes. Pensant en avoir terminé, nous sommes priés de passer d'un plat à l'autre: tiéboudienne, maffé, yassa poulet et couscous de mil, toutes les spécialités sénégalaises ou presque sont réunies. Gavés peut-être, mais on se régale! Le repas est suivi du thé proposé en trois temps. Le premier nous est servit amer comme la mort, le second doux comme l'amour et le troisième sucré comme la vie...

Pendant que certains s'adonnent à une bonne sieste sous les arbres, Aliou et Ibrahim nous emménent fièrement à la découverte de leurs cultures et maraîchages: mil, nieve (= haricots blancs) et maïs pour leur consommation et arachides pour la rente principalement. Ces aliments à la base de leur consommation leur prodiguent les glucides, lipides et protéïnes nécessaires au quotidien. Et lorque le mil fait défaut en fin de saison sèche, il est remplacé par du riz importé. Les vitamines sont fournies par l'hibiscus, quelques légumes et par les mangues et pastèques en saisons. Le baobab et le moringa, dont les feuilles sont séchées, broyées puis saupoudrées sur les plats, donnent les sels minéraux nécessaires à la bonne croissance des enfants. Leur alimentation est ainsi équilibrée.

Une fois la visite terminée, il est temps de s'adonner aux tâches ménagères. Pauline accompagne Rocky au puits. Elle revient chargée d'un seau de dix litres quant Rocky en ramène vingt, sur la tête, qu'elle déverse debout mais avec maîtrise dans les jarres en terre cuite. On s'essaie ensuite au pilage du mil, la 3e étape, celle qui broie le mil pour en faire du couscous. Aliou revient plus tard avec une botte de paille d'arachide ayant séchée au soleil deux semaines durant à même le sol. Il y met le feu puis l'éteint une fois les branchages consummés. Interrogatifs, il nous explique qu'il s'agit d'un ndiagne, pratique courante au moment de la récolte des arachides. On se réunit en cercle et on décortique les coques consummées qui contiennent des graines plus ou moins braisées, l'apéro du soir en quelque sorte. Le soir, rebelote: repas, discussion, danse puis on s'installe paisiblement pour la nuit dans notre toile intérieure plantée au milieu de leur cour.

Le lendemain, plutôt que de participer financièrement à leurs dépenses, on décide d'offrir le petit-déjeuner à tout le monde. On se rend à la boutique pour acheter baguettes, choco, café, beurre, lait en poudre et sucre, tous des produits de luxe ici en milieu rural. Toute la famille est heureuse, la fête continue! Une dernière séance photo, un ultime refus face à leur proposition de nous offrir un bébé puis on les quitte avec l'impression d'avoir une nouvelle famille au Sénégal. Sénégal, pays de la Térangua, Sénégal nerna! (= on aime le Sénégal)
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