hors-zone
- cestpartipouruntour
- 19 juin 2015
- 4 min de lecture
Le seul guide de voyage que nous arrivons à nous procurer le déconseille fermement: franchir la frontière depuis la ville de Lago Agrio est très dangereux. Repère de guérilleros, trafic d'armes et prostitution. Oui mais la date de parution de l'ouvrage est de 2011, non?
On pose et repose la question autour de nous: l'un nous parle de coups de feu entendus au loin dans la forêt juste à côté de la maison où sa grand-mère l'accueillait pour la journée. Souvenirs d'enfance douloureux qui expliquent pourquoi il n'y a plus jamais remis les pieds, ni revu sa grand-mère. La gérante de l’hôtel nous dit, elle, que ça devrait aller mais qu'il vaut mieux s'enregistrer au consulat avant de passer de l'autre côté, au cas où on perdrait notre trace... Une troisième nous prétend que c'est tout juste impossible, que ce n'est pas une frontière pour touriste. C'est la police des douanes qui tranchera. L'unique policier de ce commissariat endormi nous l'affirme, il n'y a pas de soucis, la route est sûre depuis plus d'un an, oui, plusieurs cyclistes passent par ici.
Qui croire donc? En qui déposer notre confiance? Qui de ceux-là sont déjà sortis du grand quartier que représente Lago Agrio pour vraiment mettre les pieds dans la selva colombienne? On le remarque tout le long de notre route, les “on-dits”, les rumeurs et la peur du limitrophe ne s’effacent que très lentement, une vie ne suffit souvent pas.
Nous décidons alors de croire ces deux-trois cyclistes rencontrés en Equateur qui semblent avoir vu, avoir franchi cette ligne imaginaire qu'est ce vieux pont au dessus d'un filet d'eau brune et autour duquel pullulent taxis, commerces et arnaqueurs en tous genres.
Et puis en fait, tout fut très facile, c'est toujours comme ça une fois la décision prise. Sur la route qui nous mènera au pont rouillé, on croise un vélo flambant neuf, sacoches de marques et ses accessoires high-tech. Et son propriétaire c'est Andrès, colombien de Bogotá qui descend jusqu'à la Terre de Feu. Tout va très bien sur la route, il ne voit pas vraiment de quoi on parle. En effet tout s’enchaîne parfaitement en cet après-midi pluvieux: dernier repas équatorien (oui, du poulet), le pont, la route bosselée, les militaires curieux tous les 5 km et nous sommes déjà à La Hormiga.
Après une chaleureuse expérience chez les pompiers équatoriens, on tente le service colombien de La Hormiga mais ici, pas trop de place pour nous, on campera dehors dans la gadoue. Les sujets de conversation c'est la télé qui les impose, elle trône au milieu de la caserne et aspire les deux jeunes pompiers volontaires qui y passe de douces heures d'attente. Bon, on est juste là pour la nuit.
Le lendemain, nous faisons connaissance avec un nouveau terrain original et sans égal, le “destapado” colombien. La formule magique c'est une route de terre, de gros galets glissants sur lesquels rebondissent nos fines roues, le tout saupoudré de tronçons de macadam millimétrés, juste pour que l'on sente la différence. On transpire par tous nos pores dans une chaleur caniculaire et pesante. Surprise: on peut aussi transpirer des paupières. Petite étape pour aujourd'hui car il vaut mieux arriver avant la nuit à Orito.
Et là, au milieu de la grand'rue,nous rencontrons un certain John, il nous accoste et nous invite à monter dans son bureau pour nous conseiller des routes sûres. On arrive dans son bureau, tout sourire puis il nous questionne de fond en comble, nationnalité, métier, objectifs du voyage. On se demande tout à coup ce qu'on fout là. Puis le voilà qui passe en revue toutes les routes de Colombie à l'aide de Google Map. Tempête d'information, de noms, détails de climat, données de dénivelés. On retiendra simplement qu'à Pitalito il fait très beau... ça tombe bien on y va!
Mais d'abord il y a Mocoa, petite bourgade où il pleut 300 jours par an. Sous une trombe d'eau, nous investiguons pour un hôtel dans nos moyens, c'est à dire le moins cher. Un clown nous passe devant, puis un autre, une bouteille à la main. Le voilà qui nous la tend et nous accueille chaleureusement. On dirait qu'ils nous attendaient. L'un est vénézuélien, l'autre mexicain, ils font partie d'une bande d'amis-artistes-hippies-nomades. Ils nous emmènent alors à l'auberge qu'ils squattent pour quelques jours. En fait “auberge” serait beaucoup dire: 4 planches de bois blanchi qui tiennent une tôle ondulée préhistorique, une douche sans eau et une cuisine en état de décrépitude avancée. Mais il y a un lit, nous avons nos draps, ça le fera.
On tente une petite discussion avec nos compagnons de route mais ils habitent une autre planète... celle peuplée par la Mariejeanne, sa copine Coca et ses potes LSD. Francisco explique ainsi qu'il a quitté le Vénézuela parce que c'est un pays génial mais que tout le monde vient le piller, c'est pour cela que Maduro le protège (?) et lorsque je leur demande leur itinéraire, il m'explique avec de grands gestes qu'il suit LA molécule (??). Bon beh adios amigos!
Et c'est parti pour une montée douce. On croise un couple français, David et Laetitia (letandemetlesandes.wordpress.com) qui pédalent en tandem couché-debout direction le grand sud. Mais juste après cette chouette rencontre qui agrandit notre famille de cyclistes, nous attend une montée pas douce, sous la pluie, et surtout in-fi-nie. Puis tout d'un coup il est 18h30, la nuit s'est infiltrée parmi les arbres de la jungle de montagne et pas de ville en vue. On nous avait dit de ne pas camper par ici, alors pas le choix, on va demander à la petite école qui borde la route. Bonheur, la maîtresse a déjà vu de nombreux cyclos passer, elle nous laisse occuper la seule et unique salle de classe. Pas d'électricité, ni fenêtre, ni clef mais le voisin vient tailler la bavette alors que l'on cuit nos pâtes. Ici, nous dit-il "todo es muy tranquilo".
La pluie du matin nous réveille, il faut repartir mouillés. Puis sur le coup de 11h, on passe le sommet, un immense panneau annonce la ixième grande caserne militaire, ici ils ne nous sourient pas, aucun mot échangé. Mais Laetitia nous avait dit que ces hommes scellés à leur kalachnikov marquaient la fin de la montée. Et de la zone de conflit. Nous voilà donc hors zone rouge... enfin pas pour tout le monde.

Comments