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en solitaire dans un pays (de) malade(s)

Sortie de Delhi chaotique : trop de gens, trop de véhicules, trop de bruit. Ici, c'est la jungle, la loi du plus fort et de celui qui a le klaxon le plus bruyant. Certaines motos sont même montées d'un avertisseur de bus, pour gagner en puissance sonore sur l'échelle de la bêtise. Les rickshaws surchargés et leur malheureuse sonnette sont les derniers de la chaîne autoroutière. Quant à moi, n'en parlons pas, je peux juste compter sur mes sacoches de part et d'autres pour me servir de pare-chocs! Au bout de 10 km je suis dehors...

L'Inde, pays exubérant et l'ultime défi pour le cyclotouriste averti. Le "good luck" lancé par un cyclo anglais apprenant mon désir d'y rouler prend maintenant tout son sens. L'objectif est de rejoindre Chandigarh, ville imaginée et construite par Le Corbusier dans les années 50, à 300 km au Nord de Dehli et aux avant-postes de l'Himalaya. Pauline restera à la capitale pour accueillir ses parents et Anne-Michèle et je les rejoindrai pour les fêtes. Elle préfère capituler face à l'absence de règles de circulation, l'infériorité ancestrale des femmes et les risques de viol omniprésents. Aurait-elle raison?

Après l'anarchie de Delhi, je retrouve une quiétude relative dans les campagnes. J'avale des km de rizières et des dizaines de briqueteries aux cheminées noires et fumantes. Les femmes sont à pied-d'œuvre. Elles représentent une bonne part de ces 1,4 milliards de paysans qui nourrissent le monde entier, nourrissent leur famille bien sûr mais surtout fournissent en liquide leurs hommes qui le dilapident au jeu. La gêne du début se transformera rapidement en sentiment de colère lorsque je me rends compte que toutes les tâches les plus ardues sont réalisées par les femmes: le travail au champs, la confection d'allume-feux avec des bouses de vache et le façonnage des briques. Ça vous dirait pas d'aller les aider?, pensais-je bouillonnant. Les hommes préfèrent passer leur temps à compter leurs sous et à me dévisager béats. Certains enfourchent leurs motos pour venir à ma hauteur et assouvir leur curiosité maladive. Le travail d'un côté, la distraction de l'autre, la différence de statuts entre hommes et femmes est très marquée dans l'Inde des campagnes. Une figure emblématique féminine disait que la pire chose qui puisse arriver à un être humain est de naître fille en Inde!

Lorsque j'entre dans une ville le soir à la recherche d'une piaule, je retrouve l'anarchie, la pollution, le bruit et des hommes partout. L'accueil dans les hôtels est froid, la chambre aussi. La courtoisie on connait pas, l'arnaque si, et je m'endors fatigué de toujours avoir l'impression d'être le pigeon de service.

L'Inde, c'est le dépaysement, ça c'est sûr, le spectacle d'une nature qui meurt à petit feu, des détritus partout, des cours d'eau transformés en égouts à ciel ouvert ou écoulant les polluants de l'usine d'à-côté, des plans d'eau recouverts d'un mélange d'algues et de déchets, un smog permanent, j'en suis malade! Je serai d'ailleurs complètement irrité du nez et de la gorge et cracherai mes poumons 5 jours durant!

Mais l'Inde heureusement, c'est aussi le plaisir des papilles, l'art de préparer les légumes en les épicant à juste dose, de tremper son pain nan dans une sauce aux saveurs si lointaines, d'associer judicieusement le sucré et le salé et de finalement pouvoir goûter à presque toutes les chapelles sans tomber malade. Maigre consolation...

Arrivé à Chandigarh, la cité indienne qui tend à être radieuse, mon premier sentiment est positif: il y a des arbres partout ! Le Corbusier souhaitait donner l'impression d'une ville continue qui s'efface face à la nature. Et ces arbres prodiguent aussi de l'ombre en été car le temps est délicieux ce 21 décembre avec ses 20°, mais la température monte à 45° en plein été ! La ville est divisée en secteurs, reliés entre eux par des voies rapides. Lorsqu'on entre et que l'on s'enfonce dans l'un d'eux, la voie se rétrécit, le traffic diminue pour finalement ne plus exister et on s'entend à nouveau respirer. La ville comporte aussi de nombreux parcs, une place centrale piétonne et même quelques pistes cyclables. Cet endroit est unique et les riches industriels de Dehli l'ont bien compris en le transformant en cité-dortoir de luxe. La tranquillité se paie maintenant...

Après une journée et demie à flâner, j'en perds ma conduite défensive et vigilante, moment choisi par une moto pour me percuter de côté! Sans s'excuser ni même regarder s'il a de la casse, le conducteur s'enfuit indifférent. L'indifférence en général face aux disfonctionnements, voilà ce qui caractérise les Indiens que j'ai pu croiser. De retour à Delhi (-rant) en bus, celui-ci s'arrête définitivement en bord d'autoroute, à 7 km encore de l'endroit où sont regroupés tous les hôtels. Je les parcoure à vélo, de nuit et non sans avoir essuyer quelques frayeurs et éructer sur ces conducteurs du dimanche. Une chose est certaine, je reviendrai peut-être, mais pas avant 2060, moment où le pétrole vaudra de l'or, moins de véhicules motorisés donc, et où on retrouvera un peu de quiétude sur les routes... Car là, j'ai mon compte!

J'ai voyagé en solitaire dans un pays (de) malade(s) et nul n'est convié à le faire dans cette région! Je range mon vélo pour 10 jours...

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