au pays des collines (de 4000m)
- cestpartipouruntour
- 17 janv. 2015
- 5 min de lecture
Il y a des endroits comme ça, dont on parle, dont on rêve et que l'on maudit à des milliers de kilomètres. Le sud Lipez c'est un peu ça. Il nous aura tout donné: le plus radieux des soleils, le pire des orages, la tôle ondulée, le sable et les cailloux. Et puis surtout, des paysages à couper le souffle (déjà très court)...
Mais je m'emballe, commençons par le commencement.
Jour I
Après une pause reconnection-au-monde dans la touristique et monotone Tupiza, on part de bon pied le lundi matin (on est profs ou on ne l'est pas!), pleins de force et de tamales (boules de maïs farcies de viande de lama). Quatre kilomètres de route et le panneau “Uyuni 200km” s'impose au regard, la piste de terre aussi. Matinée vallonnée et colorée, le ferrugineux s'est inséré partout, le rouge, le corail et l'ocre se renvoient la pareille de collines en rochers.

Petite pluie, histoire de nous habituer, et pause midi attablés dans un comedor dans son jus. Ici pas de paroles superflues, le plat, les sous et buen provecho. On grignote nos épis de maïs et les cuissards de poulet au son d'une chanson lancinante. Il faut tourner la tête et un écran géant nous projette le concert d'Eclipse. Cherchez sur youtube, une perle: 3 hommes qui chantent emmitouflés devant une centaine de couples habillés à l'id-en-tique, on dirait des clones qui se balancent nonchalamment. Le temps de noter la référence musicale et on reprend la route. Une fille du village nous prévient qu'il va pleuvoir en haut du cerrito (colline). Il nous faut avancer, on la remercie donc et imaginons passer le cerrito dans l'heure (grave erreur #1).

Ce qui nous est annoncé comme montagne singulière, unique et ultime n'est en fait qu'un amuse-bouche et la première-née d'une chaine de montagne in-ter-mi-nable. Ca grimpe, sans cesse, et pourtant à chaque tournant on ne peut s'empêcher d'imaginer la vallée, un village, La Fin mais nada de nada. Après 5h de grimpette on décide donc de planter la tente sur un endroit à peu près plat, tant pis pour les rochers et les cactus-bonsaï qui nous lacèrent les mollets (et on prie évidemment pour les pneus).
On fait le total: 2 bouteilles d'eau, un nettoyage de souris suffira, on avale le pain et le fromage achetés le matin, serrés dans la tente. Le vent s'est levé et l'ambiance congélateur s'est maintenant imposée. Au loin des éclairs, mais c'est très loin et on n'y fait pas gaffe (grave erreur #2).
Jour II
Le réveil d'un bivouac sauvage est souvent le plus beau: café les pieds dans les nuages, céréales les yeux planqués dans les replis de la montagne d'en face.

On remonte sur nos deux roues et la montagne avec, puis petite descente, juste pour le plaisir de nous faire grimper à nouveau le double quelques kilomètres plus loin. On rit jaune, mais on photographie aussi, c'est ce que les tourist' en 4X4 n'auront pas, eux qui nous dépassent, sans freiner svp, ils ont un horaire à suivre.
Le sujet obsessionnel de la matinée est l'eau, car pas de village, passe encore, mais pas d'eau, impensable. Au détour d'un ènième tournant, j'aperçois des lamas aux boucles d'oreilles de laine. Au moment où je m'apprête à les enfermer dans ma boite noire, la bergère cachée entre deux touffes d'herbes me dit que c'est payant. J'hésite à la questionner sur ce capitalisme maladif mais me ravise et choisi l'option “bienséance” et la questionne sur la source du coin. “En el rinconcito” me dit-elle, c'est à dire, dans le coin... lequel? Le montagne se replie sur elle-même depuis 30km. Plus loin, eureka, une maison, je cours demander à la jeune femme où il est possible de trouver ce précieux liquide avec lequel est fait sa lessive. Elle nous dit qu'il y a un puits derrière. Je fais le tour de la maison, rien. Cris fait le tour de l'enclos à lamas, rien non plus. Je vais quédemander des précisions et elle me répond que non, c'est derrière la montagne, bien sûr.

Les 2km suivants seront dédiés à scruter la montagne afin d'y apercevoir ce qui pourrait ressembler à un éventuel puits. Cris tombe finalement dessus par hasard, en allant voir derrière une ruine de terre. L'heure est donc aux souvenirs du magnifique Philippe Lambillon et tels des bourlingueurs confirmés, nous inventons un système seau-poids-poulie pour nous remonter de l'eau. On essaie ensuite d'oublier les nuages qui s'amassent au dessus de nos têtes le temps de déguster la polenta du jour mais rien n'y fait, ils persistent et signent.

30 minutes après la reprise, c'est la grêle. Elle pince les mains, rentre dans le cou et gélifie nos pieds. Alors que l'on délibère, sous la bâche de tente, afin de voir si on continue, où on peut s'arrêter (plantons rapidement le décor: de la roche partout, des torrents qui naissent comme par magie et une 103ième montée, sans fin visible), une voiture passe, recule, s'arrête et une mamita nous dit d'aller nous protéger au campement de mineurs à 10 petites minutes de là.
On remonte donc, au rythme du tonnerre et arrivés au campement indiqué, un camioneur nous ouvre sa porte. C'est Angel, il est le responsable livraison pour cette mine de zinc. Sa pièce est... comment dire? Rustique! Deux lits, une table, de la poussière partout et un petit pain qui attend de moisir sur le bord de la fenêtre. On s'y installe quand même, Angel nous explique qu'étant donné que les montagnes sont pleines de minerais, l'orage s'installe ici quotidiennement, de 14 à 20h, le temps de saupoudrer le panorama de ses infâmes éclairs (oui, il y a souvent des accidents et oui il y a quand même bien un ou deux paratonnerres). Gloups #2. Et c'est parti pour une farandole de rayons et la coupure de courant journalière. On décide alors de préparer à souper, puis au moment de la vaisselle, Angel nous explique que l'eau de la région n'est pas potable. Ici le zinc, l'étain et le plomb remplacent les pâquerettes... On regarde nos gourdes, gloups #3.
Entre deux rafales on va voir à quoi ressemble le campement, ça tombe bien c'est vite fait: 15 logements, 2 épiceries (donc deux grands placards), une école, 2 terrains de foot (?) et 2 entrées pour la mine, des yeux noirs qui fixent les baraques humides, indéfiniment. Pas de toilette, pas d'égout, de l'eau parfois, quand elle arrive. On rentre se protéger, il repleut.
Jour III
C'est un nouveau jour qui se lève, bleu et limpide, comme pour s'excuser.

Selon Angel, la petite ville d'Atocha n'est plus très loin, deux montées, de l'altiplano et on y est. Oui, enfin, il fallait juste préciser le mode de calcul, comme les enfants fiers de leur âge: un, un et demi, deux, deux et demi, deux trois quart, et l'altiplano. Ça descend, parfois, mais peu importe, la fin est proche et surtout les vues superbes. Toutes les couleurs y passent, par touches, Van Gogh est passé par là.

12h au compteur et voilà... l'orage nous encercle à nouveau, y'a plus qu'à pédaler pour tenter d'y échapper cette fois. C'est sans compter que l'on a l'impression maintenant de rouler avec des roues carrées: la tôle ondulée s'étale sadiquement devant nous, une piste de danse pour bicycles.
Enfin ça descend, raide, et c'est les mains accrochées aux freins, dans le renfoncement d'une roche rouge veinée de vert qu'Atocha se dévoile. Un monticule de cubes de terres parfois enduits de couleur, au hasard, et une rivière étonnamment à sec. Youpie, on n'est pas encore à la motié de la route menant à Uyuni mais une pause douche/repas/lessive ne nous aura jamais tant réjoui!

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